Quand la vapeur venait au secours de l’électricité
Nous partageons avec vous les souvenirs d’enfance d’un de nos voyageurs qui rapporte ses retours du lycée vers Marly le Roi en Z 1500 (une des premières série d’automotrices de banlieue « modernes », mises en service au début des années ’30). L’auteur y rapporte un incident sur le viaduc de Marly ayant nécessité l’intervention d’une 141 TC pour remorquer un Z1500 en panne. Comme quoi le patrimoine ferroviaire laisse des souvenirs dans de nombreuses mémoires. Nous y voyons une raison de plus de pour continuer notre mission de préservation de matériels historiques qui font encore rêver petits et grands!
Un voyage en rame Standard Z 1500
Ding ! Ding ! Slam ! Slam ! Ding ! Woooooooooooouuuuuuuuuuiiiiiiii !
C’est dans ce vacarme infernal que s’ébranle la rame Standard Z 1500, qui desservait tout le réseau banlieue Ouest, de Paris Saint Lazare à Versailles Rive Droite, Saint-Nom-la Bretèche, Saint-Germain-en-Laye (via Nanterre la Folie), Maisons-Laffitte, ou Pontoise entre autres.
Mis en service en 1924, ce matériel dura jusqu’à sa réforme en septembre 1977. Les voitures étaient en tôle rivetée vert eau avec une bande jaune pour matérialiser le compartiment des premières, et cloisonnées en compartiments voyageurs et fourgon. Les voyageurs y accédaient par des portières coulissantes que l’on ouvrait soi-même, mais qui se fermaient brusquement en claquements successifs.
Les unités comportaient une, deux, trois ou quatre rames d’une motrice et d’une remorque chacune. La propulsion se faisait par des moteurs électriques de 500 KW à courant continu de 750 volts, fourni par un rail sous tension parallèle aux rails porteurs, auquel s’agrippaient plusieurs frotteurs glissants. Il était mortellement dangereux de poser le pied sur le rail électrique !
Habitant Marly-le-Roi, je fréquentais beaucoup la ligne Paris St. Lazare-St.-Nom-la-Bretèche, surtout dans les années 1960-1962 car j’étais scolarisé à Paris.
Après l’accélération du départ, le voyage se poursuivait dans un continuel mugissement métallique, ponctué de claquements secs, de secousses et du clignotement de l’éclairage lorsque le véhicule franchissait les aiguillages. Car les frotteurs quittaient un rail électrique pour en reprendre un autre au sortir de l’aiguillage.
Plus le convoi accélérait, plus le bruit était fort, plus l’oscillation de la caisse prenait de l’amplitude, et le contrôleur-chef de train se déplaçait d’un pas incertain et dansant entre les travées (sièges de moleskine vert foncé à ressort, encadrés de bois verni) pour vérifier les titres de transport. Dans le compartiment-fourgon, je voyais les anneaux suspendus au plafond pour arrimer les colis de grande taille, se balancer presque jusqu’à l’horizontale !
Mais passé Saint-Cloud, nous étions dans la campagne et nous pouvions admirer les prés, les champs, les maraîchers, des petits lotissements. Tout cela est aujourd’hui remplacé par l’extension des villes. À la sortie de Louveciennes, la tranchée de Port Marly est surplombée d’un viaduc métallique constitué de croisillons rivetés en fer puddlé. Inauguré le 05 mai 1884, il a une longueur totale de 283 mètres sur une hauteur de 80 mètres, d’où se développe un panorama magnifique sur Marly-le-Roi, sa forêt et ses environs. À cette époque et pour des raisons de sécurité, ce viaduc n’était pas électrifié et la seule voie porteuse subsistait, posée sur des traverses de bois (longrines) fixées directement sur le tablier métallique.
Le conducteur devait donc accélérer, et calculer sa vitesse et son élan pour parcourir le viaduc d’une traite sur toute sa longueur, et reprendre son courant de l’autre côté.
Par une chaude après-midi de mai 1961, la rame où je me trouvais (deux voitures dont une motrice) a mal pris son élan, et est venue mourir au milieu du viaduc. Elle ne pouvait plus bouger ni pied ni patte, faute de jus !
Le contrôleur-chef de train, après nous avoirs interdits de descendre, a envoyé son conducteur chercher du secours. Lequel est parti à pied le long de la voie jusqu’à la prochaine gare, nous laissant cuire à bord sous le soleil.
Une demi-heure après, une machine à vapeur 141 TD, préposée aux manœuvres dans le triage de Marly-le-Roi, est venue s’atteler à notre train, et nous a tractés à reculons jusqu’à la prochaine gare. Nous étions sauvés ! Voyager en Standard Z 1500 pouvait être une aventure.
Jean-Yves MARTY